Le sale business de l’énergie propre

La quête des constructeurs automobiles pour commercialiser des véhicules électriques bute sur un obstacle majeur : l’approvisionnement en matières premières rares. Le cobalt, indispensable à l’efficacité des batteries, devient une source de pollution des sols. Reporterre tire la sonnette d’alarme sur les conséquences néfastes de l’industrie automobile ‘propre’ au Maroc, dénonçant la destruction des sols et les impacts sur les travailleurs.

En 2020, émerge le scandale du cobalt extrait en République démocratique du Congo, mettant en lumière la périlleuse exploitation de ce minerai bleu. Les risques liés aux poussières hautement cancérigènes du cobalt et la prolifération de mines clandestines en Centrafrique n’ont pas dissuadé les géants de l’automobile, de l’informatique et de la téléphonie de continuer à s’approvisionner auprès de ces sites, même au prix de l’utilisation d’enfants dans l’extraction de ce minerai désormais qualifié de ‘diamant de sang’.

Ce précédent grave, porteur de violations des droits humains, a plongé 70% de l’industrie automobile dans l’embarras. Afin d’éviter tout nouveau scandale, des marques internationales telles que BMW et Renault ont opté pour la solution du ‘Cobalt Propre‘. Ces constructeurs se sont tournés vers l’entreprise Managem, un grand groupe spécialisé dans l’exploitation minière et l’hydrométallurgie. La mine de Bou-Azzer, axée sur l’extraction de l’arséniure de cobalt, devient ainsi un acteur clé dans la fabrication d’arsenic et de cobalt, émergeant comme l’outil phare de la production d’énergie propre.

Les attentes écologiques dans cette collaboration sont très hautes. Managem, membre de la ‘Fair Cobalt Alliance‘ est louée par des comités internationaux, tels que la International Minerals Initiative (FMI) ou encore ‘Ecovadis. L’entreprise, propriété de la famille royale marocaine, n’hésite pas a communiquer leur éthique en « promouvant les libertés syndicales, les droits d’association, mais aussi respecter les droits humains en matière de santé et de sécurité au travail, tout en prévenant activement les maladies professionnelles. »

Trop beau pour être vrai

Les journalistes Celia Izoard et Benjamin Bergnes, dépêchés sur le terrain par le média Reporterre, ont dressé un constat divergent à l’histoire officielle lors de leur immersion dans les mines de Bou-Azzer. À la rencontre des mineurs, ces derniers ont partagé les détails poignants de leur quotidien éprouvant.

Notre équipement, ce sont des bottes trouées, des gants déchirés et un casque. Ma formation a duré un jour, et tout en travaillant, on nous a expliqué comment poser les explosifs, comment mettre les protections. On ne nous a pas dit que la poussière était toxique. On n’a pas de masques. Une fois par an, il y a un examen médical rapide : on souffle pour vérifier la capacité pulmonaire, mais ils ne donnent pas le résultat. 

Osmane, 24 ans – Témoignage pour Reporterre.

Plus de 1200 employés travaillent quotidiennement dans ces mines, faisant face à des conditions de travail difficiles, des salaires très modestes et des risques importants. L’air dans ces mines est saturé d’arsenic, une substance extrêmement toxique pour le corps humain et fortement cancérigène. Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), l’arsenic est responsable de centaines de cas de cancer, affectant la peau, les poumons et la vessie. De plus, l’arsenic pourrait contribuer au développement de maladies cardiovasculaires et neurologiques. Il figure également parmi les 50 poisons les plus dangereux pour l’homme.

Les travailleurs, dépourvus de protections et d’équipements respiratoires, expriment leur mécontentement face à la négligence de l’entreprise envers les blessés et les malades. Souvent victimes d’accidents ou atteints de graves maladies, les employés sont contraints de taire tout incident de travail ou maladie contractée dans le cadre de leur emploi, sous peine de licenciement. L’absence de personnel médical encadrant la mine contraint les travailleurs à prendre des risques, parfois fatals, sans bénéficier d’une assistance médicale appropriée.

En 2011, une vaste campagne de grève a éclaté dans la mine, impliquant près de 400 mineurs qui ont participé à des sit-ins. Leurs revendications portaient sur l’application du droit du travail, la mise en place d’infrastructures assurant leur sécurité, ainsi que des installations d’hygiène de base. Cette mobilisation a entraîné une intervention policière violente, marquée, selon Amnesty International, par plusieurs arrestations suivies de peines de prison. L’article de Reporterre sur le sujet souligne des allégations de corruption au sein des syndicats et fait état de cas de torture policière.

L’écocide de Bou-Azzer

Les installations de forage de Managem ne présentent pas d’aspects positifs sur le plan environnemental. Le forage de l’arsenic génère des rejets massifs déversés à proximité des usines de traitement, près du village habité de Bou-Azzer. Dans cette région où le sable et le désert dominent, l’accès à l’eau est extrêmement limité.

Au cours des vingt dernières années, la mine de Bou Azzer, exploitée en zone désertique, a continuellement augmenté sa production. Le traitement des minerais consomme des centaines de millions de litres d’eau chaque année dans cette région durement touchée par la sécheresse. Les nappes phréatiques sont si basses que, dans certains villages voisins de la mine, l’eau doit être coupée pendant plusieurs heures par jour. À cela s’ajoute la contamination des sols et des nappes phréatiques, entraînant la mort des cultures, l’assèchement des points d’eau et la pollution de l’eau restante.

Au cœur du village, treize familles et une vingtaine d’enfants se trouvent dans une situation d’urgence sanitaire évidente. Faute de relogement, ils résident à quelques centaines de mètres des bassins de déchets contenant des dizaines de milliers de tonnes d’arsenic, exposés aux émanations d’acide sulfurique, sans moyens financiers pour se soigner.

Quand la justice s’en mêle

À la suite de l’enquête de Reporterre, d’autres médias, notamment en Allemagne, se sont emparés de l’affaire. Le papier est remonté au plus haut, et a été attribué à l’autorité fédérale d’Allemagne, qui a ouvert une enquête sur BMW et son implication dans l’affaire. L’entreprise est notamment accusée de ne pas avoir mené d’audit et d’investigations sur le site avant de signer une collaboration. Depuis Janvier 2023, la loi allemande encadre le devoir à la vigilance, qui oblige les entreprises a respecter des codes d’éthiques sociales et environnementales parmi leurs fournisseurs. Renault est également concernée par cette loi, également présente sous une forme différente dans l’hexagone.

Cornelia Möhring, députée au Bundestäg, a été questionnée par Reporterre sur le sujet. La porte-parole de gauche déclare vouloir défendre les valeurs de l’Allemagne, et de ne pas céder face a l’une des plus grosses entreprises du pays.

Le cas de BMW, qui se vante d’exercer sa responsabilité environnementale et sociale et qui a préféré ignorer la réalité de cette extraction, est emblématiqueil montre que le volontariat et l’autocontrôle des entreprises n’ont aucun sens dans un monde capitaliste. Face au scandale du cobalt, le gouvernement fédéral doit maintenant faire la preuve de sa crédibilité en ne se laissant pas piétiner par l’une des plus grandes entreprises allemandes. 

Cornelia Möhring – Députée Die Linke

Le devoir de vigilance allemand représente une menace sérieuse que les dirigeants de la marque bavaroise ne peuvent ignorer. En cas de déclaration de culpabilité pour non-respect de ce devoir, l’entreprise s’expose à une exclusion des marchés allemands pendant trois ans et à une amende équivalente à 2% de son chiffre d’affaires annuel déclaré, soit un montant dépassant légèrement les 2,9 milliards d’euros.

La possibilité de cette amende a incité BMW à revoir sa position, se disant prête à « exiger de son fournisseur des contre-mesures immédiates ».

Interrogés par les journalistes de Reporterre, les responsables du groupe Renault ont été évasifs, assurant qu’un « premier audit sur site mené par un organisme tiers indépendant » sera bientôt réalisé. Ils ont également souligné que « en cas de non-respect des normes et engagements ESG [environnementaux, sociaux et de gouvernance] du groupe, des mesures correctives seront prises pour se conformer aux normes« .

Sources : Reporterre ; Amnesty International ; OMS ; Süddeutsche ; Mediapart ; WDR ; Zeitung ; Hawamich ; Revue générale du droit allemand.

Remerciements : Benjamin Bergnes & Célia Izoard. Zoé Ledent-Mouret, Inès Montlahuc & Enzo Saccoccio

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